À la dixième heure

« Avec toi, c’est toujours une question de Foi et d’attente, mais au fond ce n’est que de la résignation. »

Que répondre à ça ? Que répondre à ça quand c’est souvent ce qu’on se dit à soi-même, en silence, dans ce repli un peu sordide de notre âme, celui qui désespère en cachette ? Comment continuer à répondre que si Notre Dame brûle, que si la planète brûle, que si la haine, que… enfin vous voyez bien… Il y aura toujours un lendemain, et qu’un jour, à force d’y travailler, à utiliser les pierres que nous avons pour construire quelque chose au lieu de se les lancer au visage, les lendemains finiront par chanter. J’en reste persuadée. Même dans le repli acariâtre de ma conscience.

Parlons-en de ce repli.

Nous l’avons tous plus ou moins visible, plus ou moins bavard. Il est cynique, il est déprimé, il est pessimiste, il est de mauvaise foi, et surtout, surtout, il est en colère. Plus que tout, il nous accuse de tous les maux, nous traîne plus bas que terre. Précisément à cet endroit où nous n’aurions plus de colère, seulement un sentiment amorphe de résignation. Et le désespoir est un péché, Yasmina Khlat nous l’a déjà dit. Il nous pousse à cet extrême où la colère ne nous est plus utile, où elle ne parvient plus à nous faire nous redresser et bâtir quelque chose. La colère, comme la fierté peut-être, et bien d’autres sentiments ambivalents, est à explorer dans son aspect positif.

Pour ne parler que de moi, il y a de cela plusieurs années, c’est la fierté qui m’a poussée à être ce que je suis aujourd’hui. Puisqu’en France, comme le dit si justement Youssoupha : « on commence à t’encourager en te décourageant » et que j’ai mauvais caractère, je me suis lancé le défi de réussir pour donner tort à mes détracteurs. Mais combien n’ont pas ce courage, combien renoncent ? Combien en deviennent aigris ? Comme je le suis devenue sur d’autres sujets que ma carrière artistique et littéraire ? Nous avons tous des fragilités, nous avons tous des fêlures, des passés dont nous avons du mal à nous relever. Pour être humain il s’agirait d’être à l’écoute de cela, chez nous et chez les autres. Cesser les courses à qui a le plus souffert, cesser les critiques acerbes et tranchantes qui ne construisent rien, cesser les fausses complaisances qui n’aident en rien. On relève un homme à terre, on ne le cajole pas.

Revenons sur mon prétendu mauvais caractère, parce que je suis une femme, avoir du courage et de l’audace, ne pas se laisser marcher sur les pieds, c’est avoir mauvais caractère. Je n’en avais jamais pris conscience, je n’ai jamais souffert de sexisme et de préjugés pour une raison très simple. Jusqu’à très récemment, je n’avais aucune idée que j’étais une femme. Certes, cela implique beaucoup d’autres problèmes annexes, mais cela n’est pas le propos ici. Ce que je tiens à démontrer, c’est que ces actes et remarques sexistes (tant qu’ils n’entrent pas dans la catégorie des agressions, bien entendu, et j’ai la chance de ne jamais en avoir été victime, je ne me permettrais jamais de minimiser ou disserter sur ces expériences), ces remarques ou discriminations, donc, ne sont souvent des barrières que dans la mesure où nous les acceptons.

Combien de fois m’a-t-on dit : « ha tu l’as fait ? Mais c’est pas féminin… Enfin, on doit pas se comporter comme ça, tu aurais dû craindre que… »

Peur de prendre la parole en public au pied levé sur un sujet que je ne maîtrisais pas à cent pour cent et faire comme si ? Les hommes peuvent le faire chaque jour, pas les femmes ? C’est ce qu’on m’a dit. Peur de ne pas être approuvé par sa famille en choisissant ceci ou cela ? Honnêtement, je n’y ai jamais réfléchi. Je réfléchis habituellement à la moralité de mes actes, pas aux sentiments de mes ancêtres. Honte de répondre à une perfidie, d’avoir un plan de riposte quand on magouille contre vous ? Honte d’être remarquée ? Honte d’agir sans modèle ? Etc. etc. J’ai été élevée comme un « enfant » sans genre, comme une « personne » ensuite. On m’a inculqué de la droiture, de l’honneur, de la logique et de l’intelligence. Celle du cerveau et celle du cœur. Mais aucune peur, et Dieu sait que cela est un miracle. Donc, aux vues de mon expérience, être une femme résiderait dans l’état de peur et de honte, la nécessité d’agir en suivant des règles pré-établies, d’avoir un modèle référent. Balivernes. Bien sûr qu’il y a des parcours inspirants, mais pourquoi les regarder par le prisme du genre ? Quand j’étais plus jeune, j’admirais Kofi Annan et le Dalaï-Lama, Nelson Mandela, Desmond Tutu, Sœur Emmanuelle, Simone Veil, Jean Moulin, Steve Jobs, toutes les figures de la campagne Apple « Here’s for the crazy ones », et mon panthéon de Marie(s) bien entendu : Marie Curie, Marie Marvingt (Maria Ljalková et Marie Meurdrac sont arrivées plus tard).

Bien sûr qu’avec le recul je regrette qu’il n’y ait pas plus de femmes, que l’histoire les oublie (parlons d’Artemisia Gentileschi!) ! Bien sûr que je salue (et achète) les ouvrages tels qu’Histoires du soir pour petites filles rebelles et In Praise Of Difficult Women. Mais simplement parce que leurs destins sont également inspirants, et qu’elles ouvrent encore plus le champ des possibles. Pas parce qu’il est impératif qu’une fille ait des modèles féminins et un homme des modèles masculins ! Là, les féministes sombrent dans le « genrisme », si je puis dire. Avoir des modèles et sensé aider à vivre pour le meilleur, à tendre vers la meilleure version de soi et générer de la force et de l’espoir. Pas de la résignation et de l’amertume.

Le but du jeu de la vie, si je peux m’exprimer ainsi, est de passer outre tous les aspects mortifères de nos pensées et émotions, les transcender en quelque chose de constructif pour la communauté et nous-mêmes.

Ou nous-mêmes et la communauté, dans le sens qu’il vous siéra mais en oubliant aucun des deux. Passer outre, « pass-over » c’est Pessah en anglais, la Pâque juive, bien sûr, mais que fait le Christ en ressuscitant à part triompher de la mort ? Nous portons tous la mort en nous, puisque nous mourrons tous un jour, que la vie est compliquée et dangereuse, brève et trépidante. Nous l’aimons pour ça, pour ses surprises aussi, ses coups durs lui donnent sa valeur. Plonger dans l’éternité de l’instantané et du risque zéro, comme notre époque semble vouloir le faire, me semble une tragédie absurde.

Absurdité en tant de sens : le risque zéro n’existe pas et n’existera jamais, le risque zéro au temps des terrorismes et des haines, au temps du réchauffement climatique ? Quelle est cette chimère ? Quel est ce mouvement d’autruche ? L’éternité de l’instant, la course au paraître et à l’approbation du groupe ? Elles reposent sur des non-communications. Chacun se figurant pouvoir se mettre à la place de l’autre, savoir ce qui lui plaira, ce qui est bon pour tous, ce qui doit être fait, etc. Et personne ne se pose de questions, ni à soi ni aux autres. Société étrange où chacun veut faire ce qu’il pense que la majorité pense être le bien. Ma phrase vous paraît hallucinante ? Pensez-y. L’ère des communications nous fait glisser dans la non-communication, l’ère de la transparence nous fait tendre à une uniformité molle au lieu de la voir comme la magnifique possibilité d’une polyphonie apaisée, où les échanges seraient enrichissants. Oui, je suis une licorne-bisounours-guimauve, mais je vous em… Je crois à cela, comme je crois en d’autres choses, je crois en la Lumière qui habite l’humanité et se réveille peu à peu. Je crois au réveil des subtilités : les consciences qui se verraient enfin flous, comme elles le sont en réalité, et commenceraient à se jeter dans un débat philosophique pour grandir en s’appuyant les unes sur les autres.

Alors, parfois, prendre du recul, réfléchir, accepter le monde tel qu’il est et élaborer une manière de le rendre meilleur, prier et attendre la réponse de Dieu… Prendre ces temps-là peut ressembler à la résignation, ou simplement un temps trop long par rapport au monde. Mais qui en est juge ? À qui devons-nous des comptes, au fond ? Si ce n’est à notre propre conscience, être fidèle à notre propre temporalité, et avoir confiance et élan vers quelque chose de plus grand que nous, quoi qu’on mette derrière. Le temps n’est qu’une illusion de perception, je vous le rappelle, une convention sociale. Alors hormis les horaires de bureau et celles de divers rendez-vous, le reste n’est que l’impression qu’on en a. Les réponses à toutes les questions de la vie, voire au sens de la vie, est impérativement à trouver individuellement, au service du collectif et avec lui. En aucun cas nous ne devons donner notre adhésion à un collectif sans visage et sans réfléchir à cette adhésion. Nous savons trop où cela mène.

« La conscience claire » de Jean-Michel Alberola

© Marie Bellando Mitjans

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