Tous mes vœux…

Sans être foncièrement opposée à la tradition du « bonne année », je trouve qu’elle est trop souvent l’expression d’une forme de pression sociale. On se souhaite une bonne année pleine de réussites et d’accomplissements, on fait le bilan de toutes les étapes franchies dans l’année écoulée… Célébrer ce qui est bon, bien sûr que c’est important. Mais cela passe sous silence tous les lents processus, le sel des luttes et des batailles, en ne conservant que les dates, qui perdent rapidement leur sens. Nous avons conservé 1515, mais que savons-nous vraiment de Marignan ? Rien. (À part vous les deux du premier rang, là, qui sont toujours là pour saper mes exemples avec leur wikiscience !! 😉)

Par exemple, si je vous dis que cette année j’ai terminé la rédaction d’un roman. C’est magnifique. Mais ça ne dit rien des quatre ans qu’il m’a fallu pour le porter et l’accoucher, ça ne dit rien de l’année passée à chercher un éditeur qui pour l’instant n’est pas encore au rendez-vous. Ça ne dit rien des mille étapes intermédiaires de doute, de passion, de recherche, d’impudeur, d’effroi, de nuit sans sommeil, d’enthousiasme, de rire, de curiosité… Tout ce que ça dit, c’est qu’à un point futile du temps considéré comme une ligne droite, j’ai fait le dernier « pomme S » d’un fichier texte. Et cela le… même moi je ne me souviens plus de la date précise…

Bien entendu, de l’année écoulée je pourrais marquer le début de ma chaîne YouTube, avec les « Samedi Poésie ». C’était le 23 octobre dernier. Mais tout de suite, dans la grande marche des influenceurs et de la culture du chiffre, on me demandera l’impact, le nombre de vues, les plans de développement sur cinq ans… je n’ai rien de tout ça et ces questions me font considérer cette création comme une vanité supplémentaire. Le sens de tout cela ? Ma foi, partager ma passion de la poésie, par ce (plus si) nouveau média qu’est le vlog, en espérant sensibiliser de futurs lecteurs. Alors, oui, peut-être, je prêche dans le désert. En attendant, préparer ces vidéos m’apporte de la joie, et j’espère qu’elles en transmettent aussi.

Je pourrais également dire que j’ai lu un certain nombre de livres, comme le font les chroniqueurs. J’avoue ne pas tenir le compte. Je sais qu’il y en a 26 qui m’ont particulièrement marquée, suffisamment pour que j’en partage l’expérience sur Instagram. 26 voyages de papier, 26 trains d’émotions et de leçons d’humanité, 26 portes plus belles que les autres vers des pays inconnus.

Dans mon autre vie, celle de communicante et illustratrice, j’ai accompagné deux projets magnifiques cette année. Des projets plus longs qu’une simple date, eux aussi. Des projets, comme des enfants, qui se construisent encore pas à pas, tombent, se relèvent… Car façonner les rêves pour en faire du réel ne se fait pas en un jour, pas selon un calendrier strict et des chartes normées. Comme pour tout, on ne peut pas tout prévoir, tout encadrer, ne rien risquer. Comme pour tout, voir la ligne d’arrivée avec netteté et certitude est souvent mauvais signe : le trajet est court, sans leçons, sans opportunité de croissance.

Personnellement, la lente maturation de tant de choses a porté ses fruits, là encore sans date et sans grand événement. Et pourtant, je ne suis plus celle que j’étais l’an passé à la même date, et cela, en un sens, m’emplît de plus de fierté que toutes médailles et grands points de repère que j’aurais pu franchir. J’ai rencontré des personnes d’une bienveillance rare, des clients qui se sont enthousiasmés pour mes créations, des inconnus qui se sont dit partant pour le projet de roman audio que vous découvrirez cette année… une année de rencontres, en distanciel, puisque le temps est aux paradoxes.

Une année où je me suis rapprochée (l’avenir nous le confirmera, ou pas) de celle que je suis. J’ai trouvé de meilleures pièces pour mon puzzle, j’ai jeté quelques rôles, j’ai retrouvé le sens des écrits qui m’ont mené jusqu’ici, en embrassant l’envie et le désordre, la pulsion de vie, l’intuition et ce qui me paraît juste. Ce n’est peut-être pas un hasard si je commence cette année vidéo en vous parlant de l’homme approximatif, le long poème de Tristan Tzara, qui a révélé l’autrice en moi. Je ne sais si je m’étais éloignée tout ce temps de ses vers, ou si j’accumulais des expériences pour les comprendre encore mieux…

Quoi qu’il en soit, aujourd’hui plus que jamais « je sais que je porte la mélodie en moi et n’en ai pas peur* » et je vous invite tous à chercher dans vos vies « le robuste avènement du feu* ». Ce feu sacré dont tant de monde parle et que beaucoup veulent vous vendre ou vous calibrer… ce feu qui n’est que le vôtre, nourri de tout et de rien, de ce que vous aimez et ce qui vous repousse, de ce qui vous a construit et fracturé, « et tant d’autres et tant d’autres* »… alors je vous souhaite pour 2022 un feu qui s’allume, lentement, sans rapport circonstancié ni témoin, un feu qui soit le vôtre, s’avive, danse, s’essouffle avant de renaître… mais qu’il ne s’éteigne pas.


*extrait de l’homme approximatif, Tristan Tzara.

Le visuel de cet article est un collage réalisé à l’aide du site d’archives européennes en licence CC : europeana.eu, précisément des fonds datant de 1922. Le fond est un tissu conservé au Stichting Nationaal Museum van Wereldculturen (Pays-Bas) ; la vue de Graz, ainsi que le timbre, proviennent des archives de l’Université de Graz (Autriche), le portrait est celui du Professeur, imprimeur Jonas Glemža (1900 – 1992) – Kupiškis Ethnographic Museum (Lituanie), les autres éléments graphiques proviennent des collections du Malmö Museer (Suède) et du Rijksmuseum (Pays-Bas).

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