đ Paul Celan
đ Entretien dans la montagne
đ Verdier
Ne vous fiez pas aux coussins en arriĂšre plan, ce nâest pas un livre joyeux, ni triste non plus, simplement trĂšs profond comme les puits au-dessus desquels on peut passer de longues minutes Ă rĂȘver. Ce bref opus de Paul Celan chez Verdier est un dialogue Ă©trange, entre deux personnes qui pourraient nâen ĂȘtre quâune, et le silence de la montagne, Ă©cho Ă la solitude humaine. Ce long poĂšme nous habite longtemps aprĂšs sa lecture et nous appelle Ă la mĂ©ditation et au regard mĂ©taphysique sur nos expĂ©riences humaines.
« Alors la pierre se tut, elle aussi, et le silence se fit dans la montagne, lĂ oĂč ils allaient, lâun et lâautre. »
đ Rade TomiÄ
đ Nous avons donc existĂ©
đ Ă©ditions n&b
Une de mes derniĂšres lectures en date, le recueil « Nous avons donc existĂ© » de Rade TomiÄ. PoĂšte serbe nĂ© en 1934, dĂ©cĂ©dĂ© en 1985, il sâagit de son seul ouvrage traduit en français, en 1996. Ce recueil, bref, nous entraĂźne dans une atmosphĂšre du renouveau aprĂšs le dĂ©sastre, de la reconstruction de la vie : ailleurs, autrement, malgrĂ© tout⊠il est Ă la fois un support de mĂ©ditation et un Ă©trange Ă©lan dâespoir.
đ Varlam Chalamov
đ RĂ©cits de la Kolyma
đ Verdier
Quâest-ce que la Kolyma? Une rĂ©gion arctique dâextraction miniĂšre aux confins nord-est de la Russie, qui a servi de colonie pĂ©nitentiaire de 1932 Ă 1957. Dans des conditions effroyables: peu nourris, sans protections contre le froid (-30 Ă -50), maltraitĂ©s de toutes les maniĂšres possibles; des milliers de condamnĂ©s politiques ou criminels dĂ©boisaient, construisaient des routes, extrayaient de lâor. Parmi ces prisonniers, un grand nombre « dâarticle 58 » considĂ©rĂ© comme dissidents: intellectuels; hommes, femmes, adolescents suspectĂ©s dâespionnage ou de manque de productivitĂ©, notamment au sein des populations baltes, polonaises et ukrainiennes; popes et membres du clergĂ©; survivants des camps nazis (tous suspectĂ©s de collaboration); etc. Entre 130000 et 150000 personnes seraient mortes dans ces camps.
Leur mĂ©moire est aujourdâhui trĂšs menacĂ©e: selon de rĂ©cents sondages Ă peine la moitiĂ© des jeunes Russes entre 18 et 24 ans (sondage VTsIOM de 2018) ont entendu parler des rĂ©pressions staliniennes. Lâorganisme « Memorial » en charge de cette mĂ©moire a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă ĂȘtre dissous en 2021.
Par fragments prĂ©sentant des souvenirs de cette expĂ©rience terrible dans une langue superbe et Ă©rudite, Varlam Chalamov nous donne la possibilitĂ© dâapprĂ©hender cette rĂ©alitĂ©, sans ajouter par ses mots Ă la duretĂ© de la rĂ©alitĂ© elle-mĂȘme. En alternant les chapitres Ă la troisiĂšme et Ă la premiĂšre personne du singulier, en mĂȘlant les rĂ©cits et les personnages, il parvient Ă rendre compte de la diversitĂ© des expĂ©riences, du nombre incessant de disparitions et de nouveaux arrivants.
La traduction, les notes et les commentaires sont dâune grande richesse et permettent un accĂšs facile Ă ce tĂ©moignage au lecteur non initiĂ©. Immense bravo Ă Sophie Benech, Catherine Fournier, Luba Jurgenson, Michel Heller.
Pour aller plus loin, il existe (sur YouTube) le documentaire en trois parties de Mikhail Mikheev de 1991, Kolyma Trilogy (qui est Ă la Kolyma ce que Shoah de Claude Lanzmann est au systĂšme dâextermination nazi) en traduction anglaise.
đ WisĆawa Szymborska
đ Je ne sais quelles gens
đ PoĂ©sie Fayard
WisĆawa Szymborska Ă©tait (1923-2012) une poĂ©tesse polonaise de grand talent, couronnĂ©e par le Nobel de littĂ©rature en 1996. Jâaime particuliĂšrement lâimpression dâĂ©vidence, de simplicitĂ© et le questionnement perpĂ©tuel qui se dĂ©gage de ses vers.
La poĂ©sie câest trĂšs compliquĂ© Ă traduire, donc toute mon admiration Ă Piotr Kaminski !
SANS TITRE
à tel point sont-ils restés seuls,
Ă tel point sans une parole,
dans un tel dĂ©samour, qu’ils mĂ©ritent un miracle
foudre d’un haut nuage, ou d’ĂȘtre pĂ©trifiĂ©s.
La mythologie grecque Ă millions d’exemplaires,
et, pour elle et pour lui – nul espoir de salut.
Si au moins, par la porte, quelqu’un pouvait surgir,
que quelque chose jaillisse, disparaisse, un instant,
cocasse, tristounet, de partout, de nulle part,
faisant peur ou bien faisant rire.
Rien ne se passera. Aucune improbabilité,
d’elle-mĂȘme apparue. Comme dans une piĂšce bien faite,
la rupture sera consommée dans les rÚgles,
et le ciel restera bĂȘtement Ă sa place.
Sur le fond fixe du mur,
l’un pour l’autre pitoyables,
droits devant un miroir oĂč
rien qu’un reflet raisonnable.
Rien qu’un reflet de deux ĂȘtres.
La matiĂšre surveille ses arriĂšres.
En long, en large et en travers
sur la terre comme au ciel et par tous les bords
elle Ă©pie les destins naturels
– comme si une biche soudaine surgie dans cette chambre
menaçait de dĂ©truire l’Univers.
đ Varlam Chalamov
đ Les cahiers de la Kolyma
đ Maurice Nadeau
AprĂšs les RĂ©cits de la Kolyma, jâai enchaĂźnĂ© sur les Cahiers de la Kolyma. Opus poĂ©tique trĂšs bref, il prouve que la poĂ©sie peut tout dĂ©crire et tout aborder. Le poĂšte prouve ici sa nĂ©cessitĂ© absolue dâĂ©crire, sa capacitĂ© Ă admirer la nature, sa force Ă chercher, et trouver, encore, des mots pour dire le monde. Ce recueil est un de ceux qui accompagnent longtemps aprĂšs sa lecture tant il bouleverse par son Ă©conomie et sa puissance Ă©vocatrice. Ces vers ont Ă©tĂ© pensĂ©s dans un des enfers sur terre et nous en rapporte une mĂ©taphysique et un sens de lâĂąme nouveaux.
Je suis un jalon de la vie,
Un bùton enfoncé dans la neige,
Une voix que l’Ă©cho a Ă©garĂ©
Dans les glaces de ce siĂšcle.
Parmi les cris et querelles
Jamais ne me vient Ă l’esprit
D’Ă©tudier la nature en trichant.
C’est lĂ tout mon malheur.
J’en frissonne.
VoilĂ pourquoi dans mon destin
Je suis plus chicaneur
Et sévÚre
Pour moi comme pour mon prochain.
đ Taras Chevtchenko
đ Notre Ăąme ne peut pas mourir
đ Seghers
âĄïž Les @editionsseghers rĂ©Ă©ditent cette anthologie de Taras Chevtchenko, vendue au bĂ©nĂ©fice de lâassociation Aide mĂ©dicale et caritative France-Ukraine.
âĄïž En consĂ©quence, je ne vous parle pas de ce quâil y a Ă lâintĂ©rieur, allez investir 14⏠pour la bonne cause !!!
âĄïž Comme le souligne AndrĂ© Markowicz dans la prĂ©face, il est bien triste et odieux dâattendre une guerre pour ce soucier de propager une si riche littĂ©ratureâŠ
âĄïž Dâailleurs, je pense au monument de la littĂ©rature et de lâhistoire ukrainienne quâest Le prince jaune de Vasyl Barka⊠que @editions_gallimard a publiĂ© en 1981 et qui nâest plus disponible nulle part ! Je lâai commandĂ© en italien (il est apparement rĂ©guliĂšrement rĂ©Ă©ditĂ© lĂ -bas) Ă quand une rĂ©Ă©dition en France ??? En attendant regardez dans vos bibliothĂšques municipales, il y a peut-ĂȘtre un exemplaire. HĂ©las, il nâest plus au catalogue autour de chez moi (alors que je lâavais lu Ă lâĂ©poque de mes Ă©tudes).
đ Philippe Delerm
đ New York sans New York
đ Seuil
Voulez-vous passer un trĂšs joli moment de lecture ? Alors je vous conseille « New York sans New York » de Philippe Delerm. Jâaime beaucoup la plume de cet auteur, qui croque si habillement les petits Ă©merveillement du quotidien. Ici, il nous emmĂšne avec lui dans un New York fantasmĂ©, celui de tout français pĂ©tri de cinĂ©ma et littĂ©rature amĂ©ricaine, qui mille fois sâest projetĂ© dans un voyage imaginaire au sein de la mĂ©galopole, mais sait, au fond quâil nâira jamais.
Personnellement, je suis allĂ©e Ă New York, et jâai tout de mĂȘme trouvĂ© cette lecture enrichissante pour mon imaginaire. Dâune part, contrairement Ă Philippe Delerm, je ne suis pas une fan de lâimage de New York, ni de la littĂ©rature amĂ©ricaine. En rĂ©alitĂ©, je nâavais jamais fantasmĂ© New York avant dây aller. Tout au plus le rĂȘve du Moma et du Metropolitan Museum. Mais, la poĂ©sie quâil dĂ©ploie, lâhistoire « personnelle » quâil nous invite Ă suivre est prenante. On se balade avec lui dans un New York qui nâexiste pas, et câest trĂšs chouette.
đ Miroslav Sekulic-Struja
đ Petar & Liza
đ Actes Sud
Cette bande dessinĂ©e est un voyage, mi-onirique mi-nostalgique, mi-merveilleux et mi-dĂ©sespĂ©rĂ© (oui ça fait 4 moitiĂ©s, et alors ?) Ă travers la Croatie dâaprĂšs lâĂ©clatement yougoslave, la guerre est Ă peine effleurĂ©e, on visite une gĂ©nĂ©ration de jeunesse dĂ©semparĂ©e, perdue, mais vivante et haute en couleur. Câest une trĂšs belle balade triste, au sens musical du terme, oĂč lâamour, lâamitiĂ©, la simplicitĂ© de lâattachement humain, triomphe tout de mĂȘme. Je recommande !
đ AndreĂŻ Kourkov
đ Les abeilles grises
đ Liana Levi
Un vrai coup de cĆur pour ma part, un livre sombre, dĂ©senchantĂ© qui nous plonge dans lâatmosphĂšre du conflit larvĂ© suivant lâannexion de la CrimĂ©e de 2014. Le personnage principal, apiculteur, nous escorte dans son quotidien vide et dĂ©chirĂ© au cĆur dâun no mans land, puis dans la terrible rĂ©alitĂ© des passages de check point, des persĂ©cutions des Tatars en CrimĂ©e par lâoccupant russe⊠la triste rĂ©alitĂ© dâun homme qui cherche Ă vivre en paix, avec ses ruches, dans un monde qui se dĂ©chire. Il nây a pas de rĂ©elle violence « graphique » dans cet ouvrage, mais plutĂŽt une ambiance oppressante et des sentiments dâattachement et dâhumanitĂ© merveilleusement rendus. Je recommande trĂšs fort. đđ
đ Levan Berdzenichvili
đ TĂ©nĂšbres sacrĂ©es
đ Noir sur blanc
Une rĂ©vĂ©lation ! Lâauteur nous ouvre les portes des derniĂšres annĂ©es de lâURSS vue depuis le goulag, en compagnie de gens extraordinaires qui bientĂŽt deviendront des figures politiques marquantes des rĂ©publiques indĂ©pendantes : GĂ©orgie, Ukraine, Pays Baltes, ArmĂ©nie⊠Entre humour et haute culture, loin de tout fatalisme ou dolorisme, lâauteur nous racontes ses propres souvenirs et nous offre un beau moment de lecture. Je recommande !
đ Antoine de Saint-ExupĂ©ry
đ Un sens Ă la vie
đ Gallimard
Cet ouvrage est un recueil dâarticles et de prĂ©faces rĂ©digĂ©s par St Ex entre 1936 et 1942 (environ). On retrouve bien entendu le style « St Ex » mais plus encore une philosophie, une grande luciditĂ© quant Ă la nature humaine, une acuitĂ© particuliĂšre Ă dĂ©chiffrer les hommes et les situations, une volontĂ© pacifiste doublĂ©e cependant dâun grand sens du devoir. Certains de ces mots rĂ©sonnent encore au prĂ©sent, dâautres ont valeur de tĂ©moignage historique, ce qui rend cette lecture pertinente et intemporelle.
đ Svetlana Alexievitch
đ Les cercueils de zinc
đ Actes Sud
Pas dâillusion, ce nâest pas un ouvrage sympathique, ni facile, mais il est capital et nĂ©cessaire. Svetlana Alexievitch â Ă qui lâon doit notamment « La fin de lâHomme rouge », cette fresque journalistique fabuleuse sur lâeffondrement de la sociĂ©tĂ© et des rĂȘves soviĂ©tiques â livre ici un ensemble de tĂ©moignages sur la guerre dâAfghanistan. Celle de lâURSS, de 1979 Ă 1989. Ce qui rend ce livre dâune pertinence inouĂŻe, câest la maniĂšre dont la pensĂ©e dissidente, la vĂ©ritĂ© des Ă©vĂ©nements, la militarisation de la pensĂ©e est Ă lâĆuvre Ă cette Ă©poque en URSS, comme elle lâest actuellement en Russie. Pour comprendre comment lâopinion publique russe peut percevoir aujourdâhui la guerre livrĂ©e Ă lâUkraine, il faut comprendre comment les campagnes militaires ont Ă©tĂ© orchestrĂ©es depuis 1945. Les cercueils de zinc est donc un exemple, une preuve, une trace mĂ©morielle nĂ©cessaire pour envisager le prĂ©sent.
đ Olivier Liron
đ Le livre de Neige
đ Gallimard
Olivier Liron nous raconte ici sa mĂšre. Pas la maman, mais la femme, lâintĂ©gralitĂ© de sa vie de sa naissance Ă aujourdâhui. Par ce biais, mis Ă part la trĂšs grande tendresse qui se dĂ©gage de ses lignes, on voyage avec Nieves Ă travers lâhistoire de lâimmigration espagnole en France. Avec elle, on traverse les brimades, les humiliations, la perte de repĂšre, la construction dâun avenir, lâĂ©merveillement vis-Ă -vis de la nature, lâengagement Ă©cologique, la dĂ©pression, le retour Ă la vie⊠Câest ici un livre trĂšs doux, aux personnages trĂšs attachants et vibrants. Personnellement, câest un rĂ©cit qui mâa Ă©mue et cĂąlinĂ©e, et je vous le recommande.