L’enfer c’est beaucoup dire…

J’ai lu cet article hier à midi. Hugo Martinez y décrit avec acuité et limpidité la manière dont un cerveau à haut potentiel n’a pas de bouton off, et se surcharge tout seul, en se perdant parfois… et à quel point c’est extraordinaire et difficile à vivre ! Ben… Ouais, c’est vrai. Même si de nature je le vis comme une grande bénédiction, c’est aussi une plaie parfois. Par exemple, quand tes voisins font du bruit la nuit, tu te réveilles et soudain au lieu de te rendormir tu réfléchis pendant des heures à pourquoi le mot sœur en allemand commence par le son « ch » alors qu’en français, espagnol, italien, provençal, croate, polonais, anglais, il commence par le son « s » sifflant, comme il le faisait déjà en latin… [si quelqu’un sait, en vrai, je suis preneuse de l’explication…] Ça ne vous arrive pas à vous ? Les cas comme cela, c’est finalement assez drôle.
Mais quand, comme aujourd’hui, mon cerveau a décidé de se réveiller d’un coup, et d’un profond sommeil je le précise, et de discuter de cet article et de tout ce qui va suivre, c’est plus complexe à vivre. Parce qu’il fait souvent ça mon cerveau. Ce n’est pas une question d’angoisses ou de regrets quand je ne dors pas. C’est juste mon cerveau qui fait « Ha au fait j’ai oublié de te dire ». Et c’est lassant. D’une part, il faut tout de suite « faire » ce qu’on est en train de penser. Si on ne le fait pas on est condamné à tourner en boucle puis à être frustré parce que l’idée (ou la mise en expression de ce que l’on ressent) s’est lentement dégradée pour ne plus être qu’un pâle reflet d’elle-même, une fois venue une heure décente. D’autre part, ne jamais être capable de s’expliquer, d’exprimer ses émotions à chaud… dans une société de l’immédiateté… ça laisse très seul. On se réveille à 2 h d’un coup en se disant « mince, en fait cette phrase m’a mise en colère. » Et on vit la colère que d’autres auraient traversée il y a 6 h de ça à ce moment-là… ça vaut pour tous les sentiments. Parce que le trop-plein, la trop grande violence, ou encore la trop grande quantité de nuances nous a fait nous perdre jusqu’ici.
Par exemple, là maintenant je repense à un livre que j’ai lu hier en fin de journée. De prime abord j’ai dit qu’il était constructif, car factuellement, il l’est. Et maintenant que ça a décanté je me rends compte que plusieurs choses m’ont profondément heurtée. D’une part, comme dans tous les ouvrages de développement personnel flirtant avec la santé (il s’agit d’un ouvrage sur la chronobiologie) le côté dogmatique et catégorisant me révolte toujours. Non on ne peut pas rentrer parfaitement tous les individus en quatre catégories, bien sûr que chacun reste un tant soit peu unique, qu’il faut trouver son propre équilibre soi-même et avec un médecin, etc. D’autre part, ce qui m’a heurtée plus encore, c’est l’approche physiologique de tout, qui nie parfaitement le facteur spirituel de l’être humain. Et ça… ça me dérange somptueusement. Et enfin, je dois avouer que je me suis braquée tout à fait sur un point que l’auteur veut pour certain et indiscutable : la supériorité des conversations téléphoniques sur les relations par textos ou écrit. Sans cela pas d’émotion et de création de lien, selon lui.
Oui, mais non. Si je ne remets nullement en cause, dans mon cas, le besoin de relation physique, « en présentiel » dirait-on aujourd’hui… pour créer et entretenir du lien, les conversations téléphoniques sont pour moi un véritable enfer, une torture, une violence incroyable. Je ne suis absolument pas « auditive » comme on dit en gestion mentale. Et sans aucun autre point de repère et lien qu’une voix, mon cerveau est à la fois en surchauffe de concentration pour essayer de rester accroché à la conversation et en privation totale de stimuli auquel se raccrocher. La conversation téléphonique privée (à caractère émotionnel, pour ainsi dire), c’est le règne de l’immédiat dans un domaine où j’en suis incapable, c’est le règne de la seule oreille, ce sens qui ne sait pas travailler seul chez moi, et certainement pas mémoriser et accueillir… Que je m’explique, dans mes relations j’ai besoin de voir pour écouter, de me raccrocher au langage non verbal, aux lieux, aux sensations tactiles, donc la visio, c’est un peu mieux mais ce n’est pas non plus un miracle. Sinon je n’y parviens pas, je reste dans de l’écoute de surface, de convenance, d’efficacité professionnelle. Quand j’ai des coups de fil avec des proches, c’est déjà de ma part une incroyable preuve d’affection, dont peu se rendent compte. Je me fais mentalement mal pour eux, parce que c’est leur moyen de communication privilégié. Mais moi dans l’histoire, je passe tellement d’énergie à ne pas décrocher de la conversation, à les imaginer physiquement là pour pouvoir être à l’écoute de leur parole, que je n’existe plus. Je suis en incapacité d’expression. Alors, déjà qu’en temps normal il en faut du temps pour que je sois en confiance et que j’ai suffisamment trouvé les mots corrects pour exprimer des sentiments… là vous comprendrez qu’on est complètement foutu !
Quelle différence avec le texto, alors que ceux qui me lisent savent que j’y réagis très vite. Je ne suis pas du genre à répondre le lendemain. Hé bien en ce qui me concerne, le mot écrit, contrairement au mot dit, va presque aussi vite que ma pensée. Je vois le mot, il coule sur le clavier. Je peux m’exprimer. Et je peux très bien lire, appréhender le message de l’autre dans sa globalité, comme une image, en somme.
Bien sûr, cela ne règle pas complètement le temps de latence et de « réalisation » quand quelque chose me heurte réellement. Le livre, je l’ai reposé à 20 h 30, et je ne réalise qu’à présent : 2 h 16 que ses pages sur le téléphone m’ont fait violence. J’ai longtemps cru que ce genre de non-réaction (qui font de moi quelqu’un de très fiable, très efficace en situation de stress et très adaptable : forcément quand on est orienté action et qu’on éprouvera plus tard, c’est très pratique, pragmatique, rambo-robot, dédicace à Gaël Faye…) venait justement d’un manque de sensibilité total. Que je m’inventais des sentiments à posteriori, pour recoller à la normalité. Ben non. Ce serait plutôt même le contraire ! Trois choses cohabitent. La première, oui effectivement, il y a quand même un certain nombre de choses qui me laissent parfaitement de marbre, c’est comme ça. Tout le monde ne s’enthousiasme pas pour le football, je ne vous juge pas. (Enfin presque 😆) La seconde, concernant les émotions positives, tient du respect et de la déférence : c’est si précieux qu’on ne peut pas se permettre de l’exprimer n’importe comment. Alors bien sûr, l’éducation nous fournit toute une panoplie de réponses convenues. Mais Dieu que c’est frustrant !!! Alors parfois, ça coule tout seul, et du tac au tac principalement par écrit dans mon cas. J’ai écrit de très sincères messages d’amour en quelques secondes, dont je pensais et j’habitais chaque mot. Mais de vive voix ? En présentiel, ça s’apprend, je me raccroche aux branches, je force mon esprit à imaginer que j’écris les mots que je dois dire, et ça se déroule à peu près. En réalité, c’est comme si le trajet entre mon cerveau, mes mains et mes yeux était une autoroute, tandis que celui vers ma bouche est une route de montagne… Là encore, je ne parle que du domaine de l’émotion, ceux qui me connaissent savent à quel point je peux parler de tout et n’importe quoi, au pied levé. Tout et n’importe quoi, oui, tant qu’il ne s’agit pas de moi. La troisième catégorie, enfin, concerne les émotions négatives. Et là, je me questionne encore et toujours… est-ce que le retard à l’allumage est dû au fait de mon tempérament sanguin, qui s’agace rapidement mais au fond relève d’une certaine patience et reste dans l’entre-deux sans jamais mettre le doigt sur ce qui énerve vraiment ? Est-ce que cela vient de l’habitude acquise des railleries, des humiliations, et de cet orgueil qui très vite vous apprend à ne plus ressentir ? Est-ce que cela vient d’un ensemble de principes éducatifs qui veulent qu’un être intelligent et équilibré n’éprouve pas de violence et ne réagisse pas puisque « la bave du crapaud, etc. » ? Probablement un peu des trois. Certainement même. En tous cas, cela rend un peu fou, parce qu’on a donc la façade de quelqu’un qui encaisse et ne s’offusque de rien, et d’un coup sans crier gare, pour quelque chose de mille fois moins offusquant, on va déverser tout ce qu’on a conçu lentement comme discours depuis… Et cela n’a rien à voir avec de la rancune, ou avec le fait que j’ai ruminé « tu te souviens de cette phrase le 4 septembre 2012… » non point du tout, je l’ai parfaitement oubliée moi aussi cette phrase. Ça relèvera plus du « globalement, et là c’est un micro phénomène qui répond au même schéma, je ne supporte pas que… » comme ça, ça a l’air plutôt sensé. Ben dites-vous que la majorité des gens vous traite de folle et d’hystérique, dans ce cas-là. Parce que dans le règne de l’immédiateté, en effet, la réaction est disproportionnée aux microstimuli actuels.
Je ne sais pas trop si ce texte va aider qui que ce soit ou quoi que ce soit… en tous cas, pour une fois je suis bien arrivée à formuler, il me semble, certaines choses difficiles pour moi. Donc, il m’aura au moins aidé moi, vous pouvez au moins être contents pour moi ! 😉


Photo by Siavash Ghanbari on Unsplash (qui pourrait totalement être une photo de moi ayant décroché d’une conversation sentimentalement importante et me sentant minable de « manquer d’amour » et de ne pas parvenir à suivre.)


© Marie Bellando Mitjans

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