Dernière ligne droite avant Noël, voici mes derniers coups de cœur de l’année pour d’éventuels cadeaux de dernière minute…
🖋 Alain Mabanckou
📖 Le commerce des Allongés
📚 Seuil
Alors, oui, j’aime Mabanckou quoi qu’il en soit, et il en faudrait beaucoup pour me décevoir, MAIS. Ici nous parlons d’un véritable coup de cœur, car quelque chose dans Le commerce des Allongés m’a fait penser au Petit Prince. Cette galerie de personnages rencontrés, tous des archétypes qui éclairent le narrateur sur son monde; la naïveté du narrateur et sa tenue excentrique, son parcours post-mortem entre rêve et réalité où il questionne sans cesse la spiritualité, le sens de la vie et de la mort, la sorcellerie et les croyances… autant d’éléments qui m’ont tout de suite embarquée. Je ne vous en dirai pas plus, pour ne rien divulgacher et vous laisser, vous aussi, faire le voyage dans le temps et à travers Pointe-Noire avec Liwa.
🖋 Joan Sfar
📖 La Synagogue
📚 Dargaud
Joan Star nous livre ici un récit très intimiste ET très universel, comme il sait si bien le faire. Au fil des pages de cette histoire, où il raconte son rapport au combat et à la baston, naît en nous une profonde tendresse pour l’espèce humaine, doublée d’un sentiment d’urgence et de complexité. Car il est question de racisme, d’antisemitisme, de terrorisme, et de l’attitude que nous posons en face de leurs existences. Sans répondre, et c’est bien là que réside la grandeur de l’ouvrage, Star nous oblige à nous poser cette question « qu’est-ce que je fais, moi? » et à y répondre sans complaisance aucune.
Je recommande ++++
🖋 Pierre Seghers
📖 La Résistance et ses poètes
📚 Seghers
C’est un monument qui est réapparu cette année chez Seghers : le récit et l’anthologie des poètes de la Résistance, par Pierre Seghers lui-même. Les amateurs d’histoire récente et de poésie connaissaient l’existence de cet ouvrage, mais peu avait eu la chance de croiser l’édition originale. De quoi s’agit-il? Pierre Seghers, poète et éditeur, a traversé la Seconde Guerre mondiale, comme ses contemporains, mais en animant une revue clandestine de poésie. Grâce à ses activités qui visaient à sauvegarder une littérature militante et émouvante, il a pu engranger un grand nombre de poèmes, d’auteurs prestigieux ou anonymes, tous écrivant sous pseudonyme. A travers ces textes, et ses souvenirs de ces années noires, il nous livre un récit à mi-chemin entre l’individuel et le collectif, entre le poète et l’historien, entre le rêveur et l’archiviste… J’en recommande grandement la lecture qui offre un éclairage singulier et tangible sur cette partie de l’histoire française.
🖋 Lola Lafon
📖 Quand tu écouteras cette chanson
📚 Stock
Issu de la collection « nuit au musée » – qui nous a offert déjà de très belles expériences littéraires – ce récit se tient au musée Anne Frank d’Amsterdam, plus précisément dans l’Annexe, les pièces où la famille vécut cachée de juillet 1942 à août 1944.
Paradoxalement, et je ne suis pas certaine que l’autrice accepte ce terme, elle nous livre un témoignage de courage. Un courage quotidien, qui n’a peut-être rien de grandiloquent et qui ne brave certainement ni la mort ni l’ordre établi. Mais un courage tout de même, celui d’affronter enfin un vide mémoriel, un vide personnel, autour duquel l’on tourne depuis des années. Le courage de franchir un seuil que l’on regarde en coin depuis des années, le courage de rouvrir une lettre que l’on conserve fermée depuis des années.
Il s’agit donc d’un livre d’une très grande humanité et d’une très grande pudeur. L’autrice, en oscillant entre le nécessaire hommage à Anne Frank – dans sa vérité d’autrice et non dans le mensonge romantique de la « pop-culture » – et ses propres souvenirs, nous fait don d’un ouvrage puissant où l’on se reconnaît sans peine, quel que soit notre propre lignage, nos propres appartenances.
Vois l’aurez compris, ce livre restera chez moi sur l’étagère des grandes surprises : ceux dont on attendait une grande qualité, mais qui sans prévenir bouleversent absolument le lecteur et lui apportent beaucoup de sagesse. Un de ces livres que l’on referme dans un « bravo, et merci ».
🖋 Delphine Horvilleur
📖 Il n’y a pas de Ajar
📚 Grasset
Halalala que ce livre est pertinent !
Quelle plaidoirie efficace pour l’abolition de l’identité monolithique et excluante, rédigée avec tant d’humour (l’ouvrage est vraiment hilarant) et d’intelligence (on en apprend vraiment à chaque page) qu’on voudrait qu’il soit vingt ou trente fois plus long !!
Encore une fois on a envie de crier un grand merci à Delphine Horvilleur pour ce livre qui remue les méninges, nous fait nous poser les bonnes questions sur nous-mêmes et notre être au monde. Comme toujours, elle trouve avec talent le chemin entre son expérience personnelle et une sagesse commune, universelle. 🧡🤩
⚠️ Ne partez pas du principe que vous en êtes exclus si vous n’êtes pas un spécialiste d’Émile Ajar / Romain Gary, car ce n’est absolument pas le cas. L’auteur est ici un exemple pour le propos, une incarnation du questionnement existentiel.
🖋 Makenzy Orcel
📖 Une somme humaine
📚 Rivages
Je vais vous parler du roman qui aurait dû avoir le Goncourt de cette année, par sa densité, sa subversion, son sens poétique et son importance sociale. La narratrice, cherchant à exprimer et se relever de parents négligeant au plus haut point, de l’inceste, du carcan de silence et de fatalité d’une petite ville de province, se saisit d’une langue digne de Césaire. Un livre qui dépasse ses mots, qui va plus loin dans le gouffre de l’inconscient humain et nous proclame des vérités rarement admises. Un livre qui va aussi au-dela d’une seule forme : journal, poésie, témoignage, mosaique de sons, scénario cinématographique… En plus d’être une œuvre littéraire de premier ordre, il s’agit également d’une œuvre sociale bouleversante qui permet aux « neutres » (entendez par là aux personnes qui n’ont pas été victimes) d’appréhender la destruction psychique que de telles épreuves et maltraitances engendrent. Un ouvrage important, donc, capital, même.
Marie Bellando Mitjans 