Pas du tout l’ genre à se faire annoncer

Donnez-moi la foi d’un Résistant communiste adossé à un calvaire.

Cette phrase a surgi en moi, comme un souvenir de photographie ancienne, en arpentant le Musée de l’Ordre de la Libération. Je ne crois pas y avoir vu une telle photo. Je ne crois pas avoir vu une telle photo tout court. Pourtant, quelque chose dans ma mémoire l’appelle, lui donne corps et matière. Plus que ça, le sentiment qu’elle charrie m’intime l’ordre de rédiger cet article qui tarde à venir depuis…

Je vous ai déjà parlé de ma « conversion », qui n’avait pas grand-chose à voir avec celle de St Paul, qui n’a peut-être rien d’une conversion, d’ailleurs. La réalité est bien plus profonde : j’ai trouvé une « dénomination » — comme on dit — qui correspond à la foi et aux valeurs qui m’ont toujours animée. Je suis spirituellement rentrée à la maison, en un sens. Mais qu’elle est le lien avec cette histoire de Résistant ? La famille, vous dirais-je. Résistant communiste, et fervent comme pas deux. C’est cette ambiance qui m’a bercée en partie : la reconnaissance de tout être humain dans son humanité, la sobriété et le naturel de l’engagement, et une rigidité invraisemblable sur des principes moraux. Oui, rigidité invraisemblable sur des principes moraux — forts simples — ceux qu’on appelle aujourd’hui les droits humains. On mourrait pour la liberté, l’égalité et l’adelphité. On mourrait pour le bien commun. Combien, d’ailleurs, en sont morts ? Combien, d’ailleurs, en meurent encore ?

Ce que je cherche à dire, concernant ma construction spirituelle, c’est qu’elle a été frappée autant au coin de l’éthique de l’engagement pour l’humain qu’à celui de l’amour inconditionnel de son prochain. Cela, je l’ai toujours porté en moi. C’est ce que j’ai trouvé, un temps, au cœur de ma scolarité catholique, dans une congrégation tournée vers le secours aux plus démunis : accueillir les souffrants, les épauler, et surtout ne jamais les juger. Mais cela, et il est inutile de le rappeler, je ne l’ai plus retrouver dans ma vie paroissiale, où j’ai souffert de plus en plus d’une non-adéquation entre mon intériorité spirituelle, mes valeurs, et la réalité concrète d’une institution défaillante. Jusqu’à cette révolution copernicienne, la découverte de « la branche épiscopalienne du mouvement de Jésus » pour reprendre les termes de l’Évêque président Michael B. Curry. Jusqu’à trouver l’Église épiscopale, et son « chemin de l’Amour », qui résume le message chrétien avec une désarmante simplicité : Dieu est Amour.

En résumé, depuis l’Avent 2020, j’ai intégré cette dénomination, cette branche, de la chrétienté. Je ne vais pas vous en faire l’histoire (rassurez-vous, mais si elle vous intéresse, c’est par ici), et tant de choses ont changé dans mon rapport à la foi. Ou plutôt, dans ma manière de la vivre. D’une part — et ça peut paraître un peu délirant — mais je l’expérimente désormais dans la joie et en commun avec une communauté. Oui, jusqu’ici, mon expérience à la religion, dont la racine sémantique est supposée justement nous relier… n’était qu’une succession d’événement où chacun incarne une certaine image sociale de lui-même, mais où personne n’est vrai. Aujourd’hui, je découvre la possibilité de vivre des offices en communauté et en réelle communion. Il ne s’agit pas d’une question de transparence et d’uniformisation, très loin de là, mais de naturel, de spontanéité. Plus aucun masque, ni à porter ni à regarder, mes des visages francs, honnêtes, sans jugements ni attentes. Des êtres présents à l’instant, accueillant le bon comme le moins bon de chacun, ne cherchant ni à changer ni à juger. Incroyable, n’est-ce pas ? Je le dis sans ironie, je sais quelle image la religion a en France, et je vous proclame ici que cela n’est ni juste ni systématique.

Je ne suis pas ici pour parler des failles et des limites de l’Église catholique romaine. Entre nous, cela ne me concerne plus, j’ai cessé d’en souffrir. J’ai une compassion immense pour les gens qui souffrent de leur appartenance, qui sont mal à l’aise avec les… errances (pour utiliser un euphémisme) de l’institution concernant les questions fondamentales de société. J’ai de la compassion, aussi, pour ceux que la fermeture d’esprit et le sectarisme rassurent. Il faut avoir une bien grande peur du monde pour souhaiter le réduire et l’uniformiser. Il faut avoir une bien grande peur de la liberté pour vouloir un monde à son image, qui ne vous dérange par aucune altérité, ne vous demande pas de réfléchir, mais seulement de (vous) humilier. Il faut avoir une certaine dose d’égocentrisme pour forcer ce que l’on pense être bien à entrer dans l’esprit d’autrui. Mais je ne m’étendrais pas ici sur le concept d’individualisme collectif qui se fait passer pour une fraternité générale. Ce n’est pas œuvrer pour un monde meilleur que de défendre uniquement son pas de porte et n’accepter que son propre bout de la lorgnette.

Mais, donc, cela n’est pas la question. Revenons aux bouleversements qui m’habitent depuis plus de deux ans. J’ai donc trouvé une communauté, de la bienveillance, des gens avec qui être spontanée. Cela est déjà incommensurable pour une personne labellisée HQI qui s’est toujours contrainte, restreinte, cachée, etc. Au-delà de ça, j’ai découvert une structure où m’engager (oui, j’ai une pathologie de l’action et de l’engagement) où personne ne tire sur la corde, personne ne va forcer la main pour que vous fassiez plus. Pire, on vous remerciera de ce que vous faites. Une structure où lorsqu’on dit « non, je suis désolée, mais je ne peux pas », personne ne fait un drame, personne ne menace, seulement « OK d’accord, pas de problème, on va faire autrement ». Et ça, pour quelqu’un qui vient d’un monde professionnel du toujours plus et du reproche quant au temps que vous perdez à… dormir la nuit… C’est incroyable. Je continue ? Au sein de l’Église épiscopale, j’ai aussi trouvé une stimulation intellectuelle : aucune lecture ou référence ne sera jugée hors de propos ou infamante. Vous trouvez une métaphore de Dieu dans le rap ? Dans n’importe quelle musique ? Dans la poésie dadaïste ? Vous vous passionnez pour les disputes rabbiniques ? Vous trouvez que Leonard Cohen est un porteur d’évangile, et vous cherchez un. e saint. e homosexuel.le ? Tout cela est possible. Votre lien au divin est à vous. Votre intelligence est à vous. Votre libre arbitre est à vous. Votre chemin est le vôtre et personne n’a le droit de vous en détourner. Mieux, nourrissons-nous les uns les autres des chemins chacun. Bien entendu, je ne suis pas soudainement naïve, et comme toute société humaine, il existe des dérives, des défauts, des personnes plus ou moins à l’écoute, etc. Bien sûr, puisqu’elle est à l’image du monde. Mais on peut en parler. Justement, on peut en parler.

Et puis, enfin, dernier point que je voulais aborder (et si vous êtes arrivés jusqu’ici, merci !) : l’engagement, justement. L’engagement au service d’une communauté, plus encore au service de son prochain. Pour vous la faire courte, voilà plusieurs années que je conseille spirituellement de manière officieuse et complètement impromptue, des connaissances, des inconnus (magie des réseaux sociaux), etc. C’est apparemment ce qui arrive quand on est une artiste et une autrice chrétienne ouverte à toute sorte de spiritualité. Et cela m’apporte beaucoup. J’aime à croire que j’apporte un peu, aussi, à ces personnes. J’envisage aussi différemment, depuis peu, mon rapport à la création. Ou plutôt, tout commence à faire un certain sens, des liens se tissent, où une sorte de mortier apparaît entre les pièces de la mosaïque. Ce mortier a toujours été là, c’est effectivement ma foi. Ce qui est nouveau, c’est la sensibilité des gens à cela, qui semble changée. Ou est-ce simplement moi qui étant plus alignée, le perçois plus qu’avant… Quoi qu’il en soit, je n’ai plus, à l’heure actuelle, de problème à me définir comme artiste chrétienne, comme autrice chrétienne, et sans que cela ne change quoi que ce soit à mes processus créatifs. C’est simplement que je parviens désormais à voir mes créations comme une expression de cette partie de moi également, une sorte de démonstration spirituelle. Mais pour revenir à cet aspect plus « interpersonnel » que la diffusion artistique, je crois avoir le besoin de me former plus avant (d’une part) et d’officialiser quelque chose vis-à-vis de cela. Peut-être ne fais-je que lutter contre un syndrome de l’imposteur à travers ça… Ou peut-être est-ce que je réponds à la lycéenne en moi qui disait « si j’étais un homme je serais prêtre » et qui aujourd’hui se retrouve dans une expression religieuse qui le lui permet ? En tous cas, sans aller jusqu’à la prêtrise, dont je ne me sens clairement pas capable. J’ai amorcé un chemin de réflexion vers une forme de ministère.

Et c’est une question d’engagement, et de foi, à l’image de cette photo qui n’existe pas, de cet homme qui regarde l’horizon, conscient du risque même d’exister, adossé à une croix, un symbole auquel il n’est pas certain de croire, mais une philosophie fondamentale qui ne le rebute pas, convaincu de faire ce qu’il peut pour ce qui viendront après lui.


Images réalisées avec Nightcafé.

pour le titre… un clin d’œil…


© Marie Bellando Mitjans

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