Comme si aujourd’hui…

Alors t’écris plus ? 

Non, je suis en panne. Je n’y arrive plus, à justifier chacun de mes mots, à expliquer encore et encore que chaque mot a un sens, chaque pensée un contexte. J’en ai marre qu’à chaque phrase on me réponde que je suis une endormie, un mouton, une naïve, une prostituée de Babylone, une vendue à l’internationalisme ou au grand capital. J’en ai marre qu’on scrute et qu’on dissèque ce que j’écris pour trouver des raisons de m’envoyer en thérapie.

Est-ce qu’avoir un esprit critique et mettre en perspective est à ce point devenu complexe ? Hors d’atteinte ? Passé de mode ? Je ne sais plus quoi dire, parce qu’à essayer d’aller contre les complots et les extrêmes, je blesserai des gens, je me retrouverai encore assaillie de questions. C’est fou comme on demande toujours de se justifier à ceux qui pèse le pour et le contre, jamais aux producteurs de vérités simplistes.

Je n’écris plus, pardonnez-moi.

Pardonnez-moi d’être instruite mais d’avoir la foi, pardonnez-moi que cette foi ne me fasse ni haïr ni juger personne et même : pardonnez-moi de dénombrer mes plus proches amis en dehors de celle-ci. Pardonnez-moi d’être une femme, pardonnez-moi d’être féministe mais de chercher l’amour d’un homme. 

Pardonnez-moi de ne jamais être à 100 % d’accord avec qui que ce soit ; pardonnez-moi de ne pas croire à la science infuse ; pardonnez-moi de ne pas être capable de suivre un humain comme s’il s’agissait du Messie ; pardonnez-moi de croire que si c’est simple à comprendre, c’est que c’est faux ; pardonnez-moi de toujours revenir au fait que l’humain est faillible et qu’on peut douter de tout (sauf de l’Amour de Dieu, pardonnez-moi encore). 

Pardonnez-moi de souscrire au principe de précaution et de m’incliner devant les faits et les chiffres quand je vois ma voisine infirmière rentrer en pleurant d’épuisement ; pardonnez-moi de vivre en sachant que le risque zéro n’existe pas, que je ne peux que tenter de faire au mieux sans concevoir de psychose. Pardonnez-moi de ne pas juger des personnes dont je n’assume pas les responsabilités ; pardonnez-moi de trouver très facile la critique depuis son canapé et son ego mal placé. J’ai tant assumé de responsabilités pour les autres, sans jamais une reconnaissance du travail accompli, que vous ne m’empêcherez pas d’éprouver de la compassion, au moins, sinon de la reconnaissance, pour ceux qui, du haut de leur humble humanité, font quand même tourner la machine dans ces temps invraisemblables. 

Pardonnez-moi de refuser de rire à ce qui me paraît être insultant plus qu’humoristique, mais pardonnez-moi aussi de rappeler que la justice des hommes et la seule que nous puissions exercer, gardons-nous de nous prendre pour Dieu ou ses défenseurs. Pardonnez-moi d’imaginer une caricature où ce ne serait pas Muḥammad qui pleurerait d’être aimé par des cons, mais aussi Jésus, Marianne, Jeanne d’Arc, Diderot, Jaurès, et tous les autres… tous ceux qui représentent des idées pour lesquelles on serait si facilement prêt à tuer, au moins par le verbe, ceux qui se rendraient coupables d’altérité.

Pardonnez-moi de me débattre à trouver un emploi en ce moment, pardonnez-moi de me trouver encore chanceuse car j’ai un toit et de quoi manger ; pardonnez-moi de réfléchir à ce que je consomme, pardonnez-moi d’avoir encore le fol espoir de me trouver jolie dans une glace. Pardonnez-moi de ne pas avoir un parcours linéaire, pardonnez-moi d’être créative, pardonnez-moi de penser ; pardonnez-moi de me chercher comme j’estime qu’on devrait tous passer sa vie à le faire. 

Pardonnez-moi de ne plus avoir de patience, pardonnez-moi de mettre une énergie folle à chasser la dépression, pardonnez-moi de ne pas souscrire au pessimisme, pardonnez-moi de ne pas entrer dans la haine. Pardonnez-moi de croire encore que tout s’arrange à la fin, qu’on trouvera bien des solutions dans le collectif. Pardonnez-moi, au fond, de croire à l’humain et en Dieu comme Leibniz et Camus nous y appellent à leurs manières pourtant différentes. Pardonnez-moi de rechercher l’équilibre, l’intelligence, le bien commun, la morale, l’éthique, la droiture et la charité ; pardonnez-moi d’en appeler à Saint Antonin de Florence pour y parvenir.

Pardonnez-moi de ne plus me taire, pardonnez-moi de garder le silence pour ne pas hurler.

Pardonnez-moi d’aimer, pardonnez-moi d’être fatiguée, pardonnez-moi d’être éparpillée, pardonnez-moi de ne pas faire les choix que vous attendiez, pardonnez-moi de différer.


Liens (plus ou moins, c’est à vous de voir) utiles :


Photo de Kelly Vohs via Unsplash

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